Les fantômes du Stelvio

D’après un article du N° 43 de la revue des cent cols

Aujourd’hui nous arrivons à Trafoiet l’ascension du Stelvio, qu’elle soit solitaire ou par petits groupes, sera muette. Notre connivence reste intacte mais devient silencieuse car on escalade le Stelvio par le versant de Trafoi comme le Ventoux par Bédoin ou le Tourmalet par Ste Marie de Campan. Avec respect et, je dois l’admettre de l’appréhension ? Non pas celle de la souffrance – c’est notre lot commun – mais celle de ne pas être à la hauteur de l’événement

« Il est des lieux où souffle l’esprit » disait Maurice Barrès avec pour lui une connotation spirituelle. Incontestablement l’esprit souffle en ces lieux et c’est l’histoire personnelle de chacun qui le révèle et qui l’inspire. La mienne tient aux récits des joutes homériques de LuisOcanaet Eddy Merckset si je monte aujourd’hui le Stelvio, c’est en grande partie grâce à eux. C’était le temps béni, non de la rengaine, mais celui des champions auxquels on pouvait s’identifier sans arrière-pensée. Bien sûr, croire qu’à cette époque l’épique était très éthique est très hypothétique Je le sais bien la nostalgie peut rendre naïf, mais je persiste à penser que leurs exploits n’étaient pas de la pacotille, en ces temps où le dopage ne transformait pas en pur-sang le premier canasson venu.

Je mets aujourd’hui mes pas dans ceux de Fausto Coppiet de Bernard Hinault, qui ont écrit ici la légende. Je vois le profil d’aigle du grand Fausto se dessiner sur la paroi enneigée et j’aperçois Bernard qui s’échappe pour rejoindre son équipier Jean-René Bernaudeauet dans un geste chevaleresque, lui laisser la victoire à Sondrio et gagner son premier Giro. Je suis dans leur sillage et c’est le privilège du cyclisme de côtoyer le théâtre de leurs exploits. Je ne jouerai jamais au tennis sur le central de Wimbledon ni au rugby sur la pelouse du Millenium Stadium de Cardiff, mais ici je suis dans leurs traces, je vois ce qu’ils ont vu, et même bien plus longtemps qu’eux, vu la vitesse à laquelle je monte.

Mais ne perdons pas le fil de l’ascension. Il trace une ligne qui zèbre la montagne jusqu’au sommet. Sur la gauche, le glacier de l’Ortlesdégorge ses moraines fantastiques au-dessus des falaises qui nous dominent. Petites fourmis, nous amassons miette après miette les mètres qui nous séparent du but. Les derniers lacets empierrés se dégustent avec une lenteur due autant à la rudesse de la pente qu’au désir de prolonger l’instant. Le col lui-même suscite la déception par l’étroitesse de l’échancrure et surtout par son agitation mercantile. Seule la sobriété de la stèle rendant hommage à Fausto Coppi est à la hauteur de la légende.

Aujourd’hui nous n’avons pas vaincu le Stelvio – vaincre est un terme bien trop guerrier et réducteur – nous avons simplement suivi le fil de nos rêves qui nous ont hissés jusqu’au sommet. 

                                                                                      Envoyé par J.M. GIRAUDEL

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